Lydie Arickx "Etat de grâce"

Du 24 mars au 14 mai 2005

« Etat de grâce »Faut-il que la vie passe les épreuves, que le corps choit, que la fatigue se transforme en exténuation pour que l'oeuvre se perpétue dans une énergie de surcroît ? Qu'elle se renouvelle contre ou adossée à la vie qui se dessine dans ses fractures et chaos ? On peut se poser la question face aux récentes peintures sur papier de Lydie Arickx dont la précédente exposition se nommait, titre qui n'était pas seulement symbolique, "Un genou en terre". Dans son atelier de Saint-Geours-en-Maremnes, des piles de dessins, jetés l'un sur l'autre, comme des peaux fragiles, pages amalgamées de pastels à l'huile à peine sèche, dessins sans rupture d'un journal graphique, et autobiographique, écrit sous l'impulsion et le désir drastique d'inscrire un ordre, une vérité lisible et une obligation de résister à l'oubli. Pulsion que Lydie Arickx traduit par des fragments de corps, des visages qui se rétractent, des dos osseux, des mains scellées en offrande. Louise Bourgeois a écrit à propos de Francis Bacon un texte éclairant sur la pulsion. "Il ne regardait pas les choses mais peignait à partir d'un désir. Peindre était un voyage intérieur, et donc sa relation au monde réel était à l'évidence déformée. Bacon peignait la poussée d'adrénaline dans le système nerveux que provoque le besoin obsessionnel de s'exprimer." De même, Lydie Arickx s'attache à dénier la forme inscrite de son contexte temporel, mais, peinture après peinture, distille pourtant des chronologies précises à l'image de ces corps offerts dans la chute, dans l'effort, dans la tension ou dans l'abandon.

Cette chorégraphie oblitérant l'anatomie, elle fixe une écriture de dessins, à partir d'un élan, partant de la chose vue pour s'en extraire follement, fulgurations de traits feux follets qui formulent, davantage qu'ils n'enserrent, une étrange macération de la matière, terre ou chair l'on ne sait plus, faite de marbrures, de rétentions de pigments, de craquelures, de coulées aqueuses ou de trous crevassant le papier.

Que l'on observe les visages réalisés sur ces fonds bruns, portraits sur rares papiers tibétains, pris en contre-plongée, narines offertes comme un animal traqué, bouche ouverte à la manière du « Cri » de Munch, et l'on retrouvera cet usage particulier des strates et de la sédimentation de la couleur pour dépeindre une ancestrale humanité, sans âge, mais pas sans douleur. Car ces corps imaginés "se retournant pour se révéler" ou ces visages qui auraient pu se nommer, "Ces têtes sur lesquelles nous marchons", selon l'aveu de Lydie Arickx, évoquent le sens d'un appui, d'un héritage et d'une agrégation des âges et des générations humaines par laquelle nous vivons à notre tour. De même encore, ces petites têtes de porcelaine blanche, obtenue par la technique du biscuit, forment-elles, réunies comme un bouquet de lys, une sorte de précieuse frise de visages différents et communs. Visages d'aube dont l'union singulière semble prendre force dans la manière de fixer un espace lointain, invisible et pourtant parfaitement tangible. Ainsi, cet « état de grâce », dont il est question tout au long de cette exposition, signe, ici et maintenant, une création vitale, une attention portée sur l'expérience de la disparition, comme en témoignent les douloureux carnets, réunis sous le titre de "Écume de mère" (à paraître), pages de notes et de dessins détaillant, même dans ses plus abrupts aspects, la chronique de l'hospitalisation et de l'agonie récente de la mère de l'artiste.

Ce sont parmi les beaux dessins qui existent sur la souffrance, le retrait du souffle, le corps qui se rétracte, le visage qui se défait. En écho, les nouvelles œuvres offrent des corps qui se déploient, des regards qui s'ouvrent et envisagent partout un face à face serein. Apaisé. La mort est un humus, le deuil une condition.

Laurent Boudier, Janvier 2005