Lydie Arickx "Il n'y a de repos pour personne"

Du 07 novembre au 23 décembre 2006

Voyant passer devant moi les tableaux de Lydie Arickx, accrochés sur le rail comme autant de dépouilles d’une nature humaine, morte pour la geste sociale, de fragments de paysages sur lesquels ne poussent désormais que les pulsions intérieures et les convulsions de la matière livrées à elles-mêmes et conduites par la main du peintre vers un destin terrible, je m’accroche aux mouvements nouveaux de ce monde interdit. Les plans dont ils surgissent, densité pure et lisse du carton, rugosité industrielle de la toile, laissent présager un schéma d’exécution né d’une vision immédiate, d’un dessein acquis dans la recherche de l’évidence plastique. C’est là la part abstraite d’un travail qui ne doit rien à l’affectation des tourments de l’âme.

Lydie Arickx puise sans fin dans la tradition maniériste de la dissection anatomique, en quête de paysages intérieurs où l’anthropomorphisme renaît dans la raison organique, à l’encontre de toutes configurations topographiques chère à la tradition de Brueghel et de Joos de Momper exploitée dans les marges d’un âge classique, en chemin vers l’institution de normes.

Le territoire vierge et secret d’une dépouille, champ anatomique désormais privé de ses conduites autonomes, s’ouvre comme un fruit trop mûr sur une autre nature humaine qui produit le temps de sa défaite des amas de matière et des lignes de forces improbables. Lydie Arickx l’écrase de son regard et l’ausculte. Elle agit de même sur la physique d’un environnement, empruntant aux contreforts pyrénéens leurs raisons géologiques qu’elle réveille en fouillant sous le bel agencement, fruit du travail des hommes, aussi fragile qu’éphémère. Ainsi sont mises en lumière les productions telluriques, fractures et béances futures, inéluctables comme le décharnement de la terre.
Ce monde intérieur s’offre avec profusion. Il échappe aux conditions d’une reproduction mimétique. Pour s’assurer dans la solitude des labyrinthes physiques aléatoires, l’artiste court le risque de s’appuyer sur un comportement gestuel, un style, maniériste au mauvais sens du terme, qui finit par produire ses propres formes à l’intérieur du tableau et se substituer à la prégnance du sujet, comme un échafaudage décoratif. Crainte aujourd’hui dépassée par une attention de tous les instants sans dispersion d’énergie, sans les avatars de figures libres qui détournent l’attention.

Le territoire de la peinture que fait Lydie Arickx surgit de la métamorphose inachevée des mondes inférieurs extraits à mains nues des entrailles de l’homme et du paysage. Eternel projet romantique diront les modernes, imbus de leur actualité dominante : non. Le peintre ne vit que des souffrances à venir qu’il transforme en jubilation présente et chaque tableau désormais gravite autour de la peinture, son histoire, abusé le moins possible par la gestualité picturale. Ainsi la version donnée du Radeau de la Méduse de Géricault, œuvre récente et majeure, transpose la catastrophe dans la géologie de la peinture. Elle nous fait oublier le sublime effroyable de l’événement pour conduire notre sentiment vers l’appréhension autonome et sans racines des nœuds, des nerfs et des ligaments qu’offre l’humanité dans sa détresse intemporelle.

Plongé dans ce naturalisme d’accouchement, le regard dévore la surface passant de détails en détails, tous d’une portée emblématique qui n’atteint jamais l’icône. Nous sommes embarqués sans nous accrocher à notre tour aux fragments sans nous installer, épuisés, dans le monument.

Lydie Arickx donne aussi à voir des fragments de scènes érotiques. L’humanité, descendue dans les profondeurs de la connaissance mélancolique, remonte avec une sérénité joyeuse vers les affres du plaisir. Dans ces combats, il n’y a de repos ni pour le trait du modelé ni pour la couleur ni pour la chair ni pour le regard, chacun débusqué, privé du refuge de la belle manière. Les corps se doublent d’une ombre qui prend en charge l’âme devenue masse anatomique. Les tensions se propagent et s’étirent sur l’ensemble du figurable dans le refus de pénétrer la planéité du support. Fragments de monuments dépecés dans la chair du monde, les tableaux de Lydie Arickx rejoignent aujourd’hui l’art majeur de la fresque.

Alain Tapié, septembre 2006