Sophie Rocco et Louise Giamari "La traversée du miroir"

Du 13 mars au 19 avril 2008

Regards doublés

Ce nouveau rendez-vous pris par Sophie Rocco et Louise Giamari est justifié par l’interrogation commune qu’elles partagent sur le devenir de l’homme. Ces deux artistes l’expérimentent dans une œuvre engagée, où le corps est leur interlocuteur privilégié dans une création qui sollicite un monde à la fois matériel et spirituel, où l’imaginaire a toute sa place.
Chacune revendique un face à face avec la matière, instigatrice de leur démarche existentielle. Leur langage explore l’espace des formes et celui des chairs, générateur de mutations dont il revient à l’artiste de conjurer la disparition du corps déchu dans l’attente de sa rédemption. Cela passe par les blessures, les scarifications, les plis de la souffrance, de la disgrâce et de la misère que chacune interroge avec ses moyens expressifs et une intimité plongeant aux sources d’une mémoire primitive. Pour lui répondre, Sophie Rocco et Louise Giamari recourent aux matériaux les plus frustes. Des ténèbres monte la lumière, de la boue naît l’esprit. Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce corps à corps avec le limon originel, transgresser ce qui est périssable.
L’apparent primitivisme des figures de Sophie Rocco ressort d’un héritage pariétal dont sa peinture est tour à tour incantatoire et sacrificielle. Tel un sourcier, l’artiste débusque la sève qui donne la vie, arrache aux temps les plus reculés une présence, dont l’image incarnée, est celle d’un corps chargé d’une mémoire que son geste énergique et tendre ravit à une gangue, griffée, creusée, violée par les pigments. Son acharnement à dévoiler est celui de la reconnaissance et de l’identification. L’être humain est devant nous, dans sa virginité revêtue d’une conscience innée. La lumière transfigure le visage, voile de Véronique qui nous communique une autre réalité.
Louise Giamari est sortie du plan pour affronter l’espace. Elle pétrit la terre, malaxe le chanvre sur une âme en métal, tiges invisibles absorbées par les sédimentations minérales dans lesquelles cohabitent la pierre de lave et la filasse. Il en naît des figures fantasmagoriques aux gestes déclamatoires, un bestiaire étrange aux membres gangrenés, qu’un stylet inquisiteur a mis à nu. Ils sont les interprètes d’une histoire dont nous suivons les épisodes organiques mystérieux. Acteurs égarés sur les rives de l’oubli, ces personnages esquissent une farandole dans une extase qui les fige dans une éternité silencieuse.
Les regards doublés de Sophie Rocco et de Louise Giamari ressuscitent l’énergie originelle qui participe à toute création aspirant à l’esprit, comme le premier homme a dérobé le feu.
 Lydia HARAMBOURG