Stani Nitkowski "Parcours"

Du 28 mars au 27 mai 2006

Pour commémorer le cinquième anniversaire de la mort de Stani Nitkowski, une importante monographie sera publiée à l’initiative de l’abbaye d’Auberive (256 pages, textes de Philippe Dagen et de Marcel Moreau).

En parallèle, trois galeries – Vanuxem, idées d’artistes et Sellem – organisent trois expositions qui retraceront les principales étapes de son parcours et proposeront plusieurs documents inédits.

Sa vie écrite à l'encre noire, infiniment dessinée, incisée, nomme le dur désir d'exister.
Dans l'un de ses carnets intimes, il dit : "Faits divers : en ce jour de mai 1949, le 29 plus exactement, je fus, au carrefour de l'existence, fauché par la mort alors que je m'apprêtais à vagabonder sur le bord de la vie, les fossés furent ainsi mes lits pour reposer mon corps." Et bien des pages plus loin, "La loi du plus mort est toujours le veilleur". En guise de biographie, tout est dit. Stani Nitkowski, né sur les décombres fumants de la Seconde Guerre mondiale, se suicidera, au début du siècle, le 2 avril 2001. Fils d'un père mineur d'origine polonaise, il aura vécu cloué à partir de l'âge de 23 ans dans un fauteuil roulant, à la suite d'une myopathie. Par compassion, il lui est offert une occupation, des tubes de couleurs, des crayons et du papier, qui le conduit à exposer, en 1973, pour la première fois dans un supermarché puis à rencontrer, Robert Tatin, ce boulanger, géomètre, sculpteur et bâtisseur patriarche de l'art brut. L'un aide l'autre, conseille au jeune homme invalide de s'évader, de coucher sur un lit de papier ce poids mort : dessine, dessine, tu y verras plus clair. Que l'on ne se méprenne pas sur la filiation, Nitkowski n'est pas l'épigone d'un cercle d'un art dit brut, qui s'ignore, fédéré par Jean Dubuffet. Autodidacte, il cherche une famille spirituelle, écume les livres d'art, punaise dans l'atelier des cartes postales de partout. Et bien que reçu du bout des lèvres par un Dubuffet, distrait et ailleurs, il devient l'artiste volcanique et rageur, érudit et jaillissant, qui séduit le peintre Corneille, le critique d'art Jean-Marie Drot, les marchands Cérès Franco et Vanuxem, à Paris, et des collectionneurs bienveillants. Ce qu'ils découvrent en écho, c'est l'histoire d'une tragédie exultante, qui mue la hantise de la mort en un incroyable roman de la survie. À partir de 1981, Nitkowski fait son chemin seul, happe la couleur des Primitifs italiens, la pâte d'un Van Gogh, pique un peu à Maryan, trousse des figures héroïques, étale un cirque un peu pathétique et fait sa cuisine. Peu à peu, il invente sa langue en quittant l'enfance de l'art. Et ses toiles, dès les années 1988, deviennent plus complexes, superposant dans leur composition les figures et les corps d'une farce ogresque et carnassières, à mesure que le dessin s'impose, par des griffures et des scories, dans son travail pictural. Il semble que le trait serve de nerf et de colonne vertébral, de sang et de flux irriguant ce grand corps qu'est la peinture même. On n'est jamais loin d'une écriture automatique, d'une pulsation jouissive d'une étonnante invention. Cet expressionniste qui n'a rien d'urbain ou de social, expose la chronique du corps qui se délite, du corps en chute, du corps lévitant, ou espéré. Cette vitalité opiniâtre, si désinvolte dans une époque où l'abondance est suspecte, se traduit par des centaines de dessins, produits chaque jour des textes à l'espièglerie picaresque et des tableaux plus rares, et ambitieux. Au fil du temps, l'œuvre, malgré une reconnaissance suscitée par de nombreuses expositions personnelles, semble se rétracter, confier au noir la noirceur d'une épuisante insatisfaction. Ultimes peintures, qui conversent avec la lumière aveugle d'un Goya et cite le destin christique. De la terre, ses tableaux ont la couleur. De la cendre, sa matérialité. Tout devient diffus, allégorique, matiériste, et pourtant de plus en plus tangible à qui veut le voir : Nitkowski creuse un lit de peinture qui semble un linceul ; et l'ombre qui couvre la clarté de ses toiles désigne l'absence, la transfiguration, et peut-être le répit. Une vie, si confuse, si absurde, si résistante, si joyeuse et si funeste. Si vraie, aussi, d'un homme qui écrit, quelque part sur un bout de papier, sous la frise d'un dessin, ces mots : "Serait-ce un rêve, osé, que d'avouer, sur les bouches, mon espérance d'être…"
Laurent Boudier